lundi 12 janvier 2009

I Ricardo Oliveira



Aigrefin...banquiste, boursicoteur...du pareil au même dans un premier Tableau de Paris bien éloigné de celui du jour présent. Samedi 17 mai 1941. Mercier ne pouvait hélas présager des tourments de sa belle ville éclairée deux siècles plus tôt et supposer l'actuelle prolifération de ceux qu'il aimait à dépeindre avec force complicités. Point de définition générale, point de moralité, juste un halo de lumière sur cette scène de pénombre, juste une histoire de « sans grade » qui incarne à elle-seule toute la psychologie de ce coquin personnage. Tout compte fait, qu'est-ce qu'un aigrefin ? Un paumé ? Un incompris ? Un goupil ? Peut-être les trois à la fois mais l'homme aperçu l'autre soir peut, à lui seul, expliquer ce mot d'autrefois à travers les méandres de sa biographie d'étiage : Ricardo Oliveira - publiciste - Le Sourire - 52 avenue des Ternes - Tel: Etoile 36.35.58...40 ans et quelques fragments de mois subis. Telles sont les traces glânées sur un carré de bristol écorné, trouvé au pied d'un guéridon de terrasse qu'il venait de quitter empressé, c'était avant-hier, je crois?... Archétype de l'aigrefin version Occupation; Parangon-canaille enfanté par cet énième siège de Paris sur fond de croix païennes, d'uniformes vert-de-gris, de vie facile et de juteuses affaires à faire. Il n'est point gestapiste, gestapache ou traître de la nation puisqu'il survit avec malice, disons espièglerie, toujours à la lisière de l'angle-mort. Justement! il tente de survivre sans condamner autrui, encore moins le vendre ! L'aigrefin est un médiateur, un entremetteur, un arrondisseur d'angles, jamais délateur, indic, encore moins rancunier des litiges d'avant-guerre. C'est une victime en rémission, voilà tout ! Ah ! Ce bon Ricardo ! Ce Paris-là lui sied à merveille, lui, le malchanceux chronique qui n'en pouvait plus d'attendre que le sort lui fasse signe ; lui, fils adultérin de Ruben, attaché d'ambassade lisboète de passage à Panam' et d'Eliane, lorette de Pigalle venue d'Aurillac à l'avant-siècle aujourd'hui au faîte des plus obscurs moeurs montmartoises. Dans la plupart des cas, cette ascendance informelle, interlope, dessine l'aigrefin, pis, souligne le futur fardeau d'une quotidienneté des plus conjoncturelles. Réécrire une histoire qui vous a délaissée, c'est bien là le sens d'une vie à remplir désormais. Reclus dans sa soupente du 17 de la rue D'armaillé, après repos, somnolences et siestes crapuleuses, il se remet à vivre à l'heure du thé pour de richissimes clientes qui louent son élégance et sa bonne compagnie ; quand les émoluments daignent à être honorables, notre galant fauché dîne, à défaut de clâper rogatons et en-cas : les soirs fastes, pâtés de truite et faisans souwaroff sont consommés sur l'avenue, loin des ruelles crasseuses des Batignolles ou de ces caboulots en couloir d'autobus fréquentés les nuits de défroque, histoire que la buvande eut rassasié l'appétit. Quelques heures d'un spectacle à la mode (la revue et le théâtre d'art libre sont ses prédilections!) viendront prolonger sa nuit parisienne achevée dans l'ivraie vaporeuse d'une boîte de jazz nègre, voire d'un caveau tsigane où le Tout-Paris aime à s'encanailler tout en snobant les déliquescences d'une l'actualité qui se lit d'un accent gutural. Jamais de signatures fortuites, nul listes à apporter sous le manteau, point de messe-basse à de maudits tympans, Ricardo fait souvent le geste juste, ni Collabo, ni Résistant, simplement bon français patriote (...naturalisé depuis 1934...) qui vit sa guerre sans faire de vagues, tel le rendant service de ces dames, frimantes et gagneuses, le chaînon providentiel de ces nouveaux messieurs flanqués à la une du Gross Paris. "Mais que peut-il bien faire dans mon quartier-gare?" me disais-je interdit en posant sa carte de visite sur le comptoir en pacfung de mon bistrot d'attache. A l'enseigne d' A la ville d'Epinal, mon repaire des jours errés Gare de Lest. Quand j'n'y piccole pas, j'y fais une pige de loufiat sans livrée ou la plonge pour honorer Riri de mes ardoises et du modique loyer d'une chambre sur cour qu'il me loue depuis ma démobilisation. L'ancienne Gare de Strasbourg, époque Second Empire, ses destinations à faire fuir les demi-mondains bégueules en mal de Baedaker. Anti-riviera. Plate-forme de guerre mondiale, prélude aux routes de feu, de soufre et de sang, mais porte d'embarcadère pour les plus belles rimailles des cent dernières années. Que le vent les ramène au chuintement du foehn: Charleville-sous-Mézières et Rimbaud, Verlaine-de-Metz, Nancy-des-arts-nouveaux, le Charmes de Barrès déclamé dans une sombre chambrée dijonnaise, à l'Hotel de la Cloche si cher à Aloysius Bertrand. Il semblerait que j'en frémisse. Que me vaut cette attirance pour les faubourgs cheminots, ou autres espaces ferroviaires de rires et de sanglots dans le sillage d'un triage de banlieue. Bondy? Noisy-le-grand?



J'ai toujours aimé me poster à l'ombre des fumées crapeautées par le Dame du rail. Micheline prend sa crémaillère dans un décor de Bérard. La vapeur du rebroussement, les cris rauques de l'accrocheur, les tics dégingandés du poinçonneur à l'orée du quai, mégots de ballast et lueurs chaudes du fanal au moment de l'annonce d'un départ Orient-express. Mes yeux s'écarquillent, les ailes du nez frétillent. Odeurs de cambouis, de lard ranci et de mâchefer cancérigène se mêlent, évanescente. Claqué de doigts sec. Digression olfactive et stérile à l'heure de prendre la tangente sur les talons de mon homme par trop occupé. Aussi, une interrogation terre-à-terre. Que vient foutre Oliveira dans ce tableau zolien, deux fois la semaine? Je tente de mener mon enquête pour occuper mes heures chômées dans une capitale sans travail, sans fric et victuailles. Dès le lendemain midi, je l'ai pisté jusqu'au Ponant de la ville, effacé dans les métros, en filigrane dans l'omnibus. Caméléon des beaux quartiers. Avenue de Wagram. Place des Ternes. Il entre Brasserie Lorraine à treize heures tapantes. Trois poules l'accompagnent. Ernst Jünger y déjeune avec Gide, trois mètres à peine, sur leur droite. Je peux disposer et m'accorder quelque minutes de récréation, sans néanmoins boucher mon oeilleton. 15heures et 40 minutes bien sonnées. Assis à une terrasse de l'Avenue éponyme, je sirote un jus de gland amer et diaphane tout en truffant quelques ouvrages, puis soudain, je l'aperçois filant vers l'angle des rues Demours et Guersant, tout fringant. La frime pour éclater sa cosse: Cravate Club, chemise Turnbum and Asser, étriqué dans son costume Poiret, allant vers son destin d'arrangeur. Le pas pressé, il converge vers un de ces rendez-vous où les contacts, à coup sûr, s'additionnent remplissant un semainier déserté par la mine depuis de trop nombreux jours. Ah oui j'oubliais! le semainier, l'agenda (...un simple carnet de Moleskine noir pouvant faire l'affaire..), il s'agit là du seul et unique bien d'équipement requis pour exceller en la matière : adresses, patronymes, croquis, dates, autant de lettres, de chiffres, de lignes et de traits pour s'assurer pitance avec comme fil conducteur, comme ligne de conduite de ne jamais prospérer au détriment de son prochain...là...étant l'exercice de style de ce malin commis: une heure de conversation badine mais non moins mondaine, une leçon de piano au prix fort, une esquisse, un portrait exécuté pour le plaisir non dissimulé d'une apprenti-bourgeoise, que sais-je encore? Un billet doux composé pour Madame « De », bas-bleu réputé, à destination de son amant prussien, voilà bien des savoirs faires qui déterminent « la » seule et unique constance de notre aigrefin, j'ai nommé, son artisanat. Sans ce dernier, il eût été vaurien, un rapace de la pire espèce dans une capitale mise entre parenthèses, veilleur, voyeur et fureteur aux aguets de la calomnie et du menu profit alors qu'avant tout, notre homme est éclairé, éveillé aux arts et aux choses de l'esprit, doté d'un bon goût relatif et même plutôt doué de ses mains. Tantôt grimaud (les plus conciliants parleront d'homme de lettres raté), tantôt rapin, l'aigrefin fait commerce de ce don qu'il n'a pas su faire fructifier, bonifier au gré des salons et des académies ; somme toute, un inné artistique pouvant faire figure de dédommagement à sa naissance malheureuse, métisse et bâtarde. « Le Maréchal », Pierre Laval et son panier de crabe, Ricardo ne sait pas puisqu'il n'a aucun favoris ; "la" Question juive ? L'Europe nouvelle ? A quoi bon puisqu'il ne fait pas de politique, estimant qu'en ces temps noirs et blancs elle est source d'avanie. Non ! Ricardo Oliveira passe ses journées à butiner de fleurs en Flore, à battre le pavé germanopratin en quête de bailleurs et de généreux mécènes. Toujours de bonnes presses et de fines revues sous son oeil passionné (..les plus neutres pour peu qu'elles existent...) ; jamais de lectures périlleuses, connotées, en dépit d'un avant-guerre tout acquis à Drieu, Céline, Fernandez et surtout Brasillach qu'il a brièvement côtoyé dans quelques cénacles informels des rues de Sèvres et Récamier, au temps où Paris vivait de folles années sous le signe du Cake-walk et du Chantilly-fraise. Fréquenter sans trop se montrer, rencontrer sans s'impliquer, Ricardo peut être jugé tiède, jamais engagé, si ce n'est dans la collecte de quelques deniers malignement gagné à droite...à gauche...voire au centre la plupart du temps. Le 21 mai 1941, assis sous la véranda du Café de la Croix Rouge, un chroniqueur de la place écrit d'une encre violacée un brouillon de lettre déjà mille fois raturé. Nouvelle feuille de papier à en-tête, à l'effigie du Guide des spectacles...porté de mention avec de fréquents levers de plume, "Conctatez vite Oliveira!"...

2 commentaires:

  1. Hum... qui est Mercier? et son rôle dans l'histoire? peux-tu me répondre par mail?

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  2. Un grand plaisir à vous lire ! je ne sais pas toujours très bien où je suis mais je me gargarise de vos mots si habiles ...

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